13 octobre 1806
Schleitz, 10h : « Voilà une journée intéressante qui s’annonce mes amis ! » Le général Lasalle, suivi de ses hussards, pénètre au son du canon dans le village quitté quelques heures plus tôt. A l’est du village, la division Dupont du Ier corps est rudement prise à partie par la division Von Arnim. Lasalle, pour sa part, rejoint Schleitz sous la pression des 5000 cavaliers de Blücher qu’il a rencontrés sur la route d’Auma et qui le talonnent. « Bien, il s’agit de tenir ce fichu village en espérant que Bernadotte daignera nous soutenir avec le reste de son corps. On s’installe ici ! L’ennemi ne doit pas passer ! » Les hussards mettent pied à terre, résignés à livrer une bataille de position, exercice auquel ils ne sont guère habitués.
Schleitz, 13h : « Ah, quand même ! » Lasalle salue de sa pipe les hommes de la division Rivaud du Ier corps qui entrent en colonnes dans le village. Le hussard part saluer le divisionnaire : « Vous ne serez pas de trop ici je pense bien. Blücher, cette vieille ganache, a plus d’opiniâtreté que de talent : il charge ferme mais il ne passe pas. Je m’attends néanmoins à ce que le Prussien reçoive des renforts incessamment. »
Altenbourg, 14h : « Et bien, D’Olivier, je crois que nous voici dans le vif du sujet. » Le maréchal et son état-major se trouvent sur une petite hauteur qui surplombe la route menant à Altenbourg. En contrebas, la bataille s’engage doucement. Les Prussiens, sous le commandement de Hohenlohe, manoeuvrent prudemment, profitant de l’avantage naturel que leur donne une rivière qui coule juste en avant d’Altenbourg.
Depuis que Guyot, arrivé vers 10h sur les lieux, l’a informé de la présence de l’ennemi, Soult a revêtu un masque imperturbable de calme. Il a aussitôt dressé ses plans : engager l’ennemi dès l’arrivée de la division St Hilaire, qui marche en tête de la colonne du IVe corps, pour surtout empêcher les Prussiens de se replier. « Je veux cette bataille, D’Olivier. Une partie des forces de Brunswick a surgi à Schleitz. L’ennemi n’a sans doute pas achevé sa concentration. Voyons si nous pouvons en profiter. » Hohenlohe a déployé sa réserve d’artillerie, le canon tonne, le maréchal donne ses ordres, les régiments de St Hilaire, soutenus par les hussards de Guyot, viennent tester les défenses de l’ennemi.
Altenbourg, 17h : Alors que le soleil commence déjà à décliner sur l’horizon les troupes du IVe corps finissent à peine de se déployer, en particulier les hommes de Leval, envoyés tenir l’aile gauche. Nos assauts ont été repoussés par des Prussiens déterminés. « Ce n’est que le prologue, me glisse Soult. La vraie bataille aura lieu demain. »
Schleitz, 18h : « Sacré Tilly ! » Lasalle, admiratif, salue la performance des cavaliers de Tilly qui, à l’ouest de Schleitz, affrontent à 5 contre 1 les hommes de la division Scharnhorst. Au centre, Dupont a été rejoint par Drouet dans son combat contre Von Arnim. A Schleitz même, la division Heudelet du VIe corps, envoyée par Ney soutenir Lasalle, fait une entrée remarquée et témoigne de l’heureuse inspiration du maréchal. Le soir tombe, c’est l’heure du bilan : 3000 pertes prussiennes, 2000 de notre côté. « Le commandement de Bernadotte est pour le moins hésitant, écrit Lasalle à Soult, heureusement les Prussiens ne parviennent pas à en profiter. Demain, tout peut arriver. »
Altenbourg, 22h : Réunion d’état-major. Tous les divisionnaires sont présents autour du maréchal. « Messieurs, demain nous affronterons le corps de Hohenlohe, commence Soult. Monsieur le Prince a donné tous les signes de son désir de nous affronter : cela me va. Ce qu’il a vu aujourd’hui, ce sont les divisions du IVe corps. Ce qu’il ne sait pas, et qui va je pense se révéler une mauvaise surprise pour lui, c’est que les cavaliers de M. le maréchal Murat à qui j’avais donné l’ordre de me retrouver absolument ici ce soir nous ont bien rejoint. Les derniers hommes arrivent en ce moment même. Demain, nous serons prêts. Messieurs, je compte sur vous. Vive la France, vive l’Empire ! »
14 octobre 1806
Altenbourg, 7h : Le spectacle est impressionnant. La fumée de la canonnade ne masque pas encore le champ de bataille. Les régiments prussiens, formés au cordeau, nous attendent, sur leur droite, derrière la rivière. Je distingue là uniquement la division Grawert, soit 7000 hommes dont 2000 cavaliers. C’est au centre que Hohenlohe a massé l’essentiel de ses forces, bien retranchées derrière la rivière et les faubourgs d’Altenbourg. Là s’alignent les divisions Kuhneim, 8000 hommes dont 4000 cavaliers, Taunzien, 5000 hommes dont 1000 cavaliers et Zechwitz, 9000 hommes dont 2000 cavaliers. L’aile gauche prussienne, qui ne bénéficie pas de la protection de la rivière, est tenue par la division Prittwitz, 6000 hommes dont 2000 cavaliers, renforcée par la réserve d’artillerie.
Le maréchal a, en un coup d’œil, vu la faille de ce dispositif : un centre atrophié par rapport à des ailes dégarnies. Il dresse son plan de bataille en fonction de ce constat. A l’aile gauche, face à Grawert, il engage la division Legrand, 7000 hommes, soutenue par les dragons de Grouchy, 3000 cavaliers. Leur rôle est essentiellement de fixer l’ennemi, de maintenir la pression sur la droite prussienne. Ce n’est pas là que la bataille se jouera. Au centre, Soult engage son meilleur divisionnaire, St Hilaire, un général au coup d’œil vif, aux décisions tranchantes et extrêmement opiniâtre. Ses 7000 grognards sont soutenus par les 3000 dragons de Klein, un cavalier peu avare de charges retentissantes. M. le maréchal Murat se voit confier le commandement de ce centre qui commence la bataille dans une situation difficile : monter à l’assaut de positions retranchées à 2 contre 1. Le panache de Murat ne sera pas de trop pour galvaniser les troupes. Mais c’est sur l’aile droite, face à la division Prittwitz, que Soult a décidé de frapper un grand coup. Il aligne là la division Leval, 10.000 hommes, soutenue par les dragons de Beaumont, 3000 hommes, et les cuirassiers D’Hautpoul, 2000 gros frères.
« Mon plan est simple, D’Olivier, me confie le maréchal. Défaire l’aile gauche prussienne, dont la position est la moins bonne, puis prendre ce centre impressionnant en tenaille. En effet, ce centre est comme une noix : sa coquille est formidable, dure et résistante. Mais si l’on exerce dessus deux pressions convergentes, il explosera… Je suis confiant. Même en engageant ses réserves, je ne crois pas que Hohenlohe soit en mesure de nous empêcher de progresser sur sa gauche. »
Altenbourg, 10h : Soult est atterré. Il vient de recevoir une missive de Bernadotte datant de 11h du matin la veille et lui enjoignant de venir le soutenir à Schleitz. « Je connais des sergents qui feraient de meilleurs commandants de corps que ce paltoquet ! rugit le maréchal. Il n’a donc aucun souvenir de notre plan de campagne ? Comment peut-il imaginer que je suis en route vers Schleitz ? Il prend donc quelques hussards pour la réserve de cavalerie ? » Furieux, Soult me dicte une réponse peu amène. Je prends sur moi d’en adoucir les propos avant de la faire partir.
Altenbourg, 11h : L’humeur du maréchal s’améliore dramatiquement quand une dernière charge des gros frères disperse les carrés de Prittwitz. La désintégration de la gauche prussienne a été impressionnante. Incapables de résister aux coups de boutoir des cuirassiers D’Hautpoul, les hommes de Prittwitz ont très vite cédé. Déjà les dragons de Beaumont sont sur les batteries adverses. Soult sourit : non seulement son plan se déroule à la perfection, mais encore plus vite que prévu. Il décide d’engager immédiatement les 3000 cuirassiers de Nansouty au centre et de ne laisser que Beaumont à l’aile droite pour harceler le centre prussien par des attaques de flanc.
Soult écrit à l’Empereur bien que la journée soit peu avancée : « Je suis devant Altenbourg où j'affronte depuis ce matin le corps d'armée de Hohenlohe. La bataille se déroule extrêmement bien. Il faut dire que Hohenlohe, qui est un bien piètre manoeuvrier, m'aide bien. (…)Le Prussien sera irrémédiablement battu avant le coucher du soleil. » Non content de faire preuve d’une belle assurance, le maréchal prépare déjà l’avenir. Il écrit à Ney : « M. le Maréchal, permettez-moi de vous faire la suggestion suivante : plutôt que de venir me soutenir, ce qui est inutile, contournez, lorsque vous arrivez à la dernière rivière avant Altenbourg, contournez donc la ville par l'ouest afin de vous positionner sur les routes Altenbourg / Gera et Altenbourg / Leipzig. En effet, la seule chose qui puisse sauver Hohenlohe de la défaite, c'est l'arrivée de renforts. En vous positionnant ainsi, M. le Maréchal, vous empêcheriez ceux-ci d'arriver ainsi que, s'il le décidait, Hohenlohe de faire retraite. Pris dans une nasse, nous serions certains de détruire irrémédiablement le corps d'armée de Hohenlohe tout en étant, concentrés, prêts à faire face à d'éventuels renforts. »
Altenbourg, 13h : Hohenlohe engage au centre les 5000 hommes, dont 3000 cavaliers, de l’avant-garde Louis la mal nommée. Soult riposte en ordonnant à Leval de se porter au centre et à D’Hautpoul de renforcer l’aile gauche. Les prochaines heures s’annoncent décisives.
Un aide de camp de Ney nous annonce l’arrivée prochaine du maréchal. « Faites-moi donc préparer une collation. Viande saignante je vous prie » écrit Ney. Soult répond en réitérant sa demande de contournement d’Altenbourg.
Altenbourg, 15h : Le centre prussien cède. Ce sont les hommes de Taunzien, placés dans le village, qui tournent casaque en premier. Côté Prussiens, la désorganisation est totale. Murat, à la tête de ses hommes, mène charge sur charge. Les défenses de l’ennemi sautent comme des bouchons de champagne un soir de fête. Les fantassins de St Hilaire, en première ligne depuis la veille, trouvent dans la perspective de la victoire assez de force pour avancer au pas de course. Les hommes de Zechwitz cèdent à leur tour et entraînent dans leur fuite les divisions Kuhneim et Louis. C’est fini pour Hohenlohe. A l’aile gauche, les hommes de Grawert ont beau crânement tenir tête à Legrand, Grouchy et D’Hautpoul, l’espoir n’est plus permis aux Prussiens.
Une estafette apporte une nouvelle missive de Ney : « Maréchal, je continue ma marche sur Altenbourg. Mes troupes sont fatiguées et une marche à travers champs me paraît bien délicate. » La réponse de Soult est cinglante : « Si vos troupes sont fatiguées, que dois-je dire des miennes ? La lassitude des jambes doit-elle dicter ses manoeuvres au soldat impérial ? » La collation de Ney est froide depuis longtemps…
Altenbourg, 17h : Grawert a presque fini de se désengager pour couvrir la retraite du corps de Hohenlohe quand ses hommes sont finalement emportés par le flot impétueux de nos cavaliers. Soult parcourt le champ de bataille, partout acclamé par les hommes qui crient « Vive la France, Vive l’Empereur, longue vie au Maréchal ! » Les chapeaux volent haut, l’enthousiasme est indescriptible.
Altenbourg, 19h : Murat mène la poursuite. Totalement démoralisés et désorganisés, les Prussiens sont incapables de contenir nos cavaliers. La division Grawert, en première ligne, est anéantie. Hohenlohe a aligné au total 42.000 hommes ; le soir venu il ne lui en reste plus que 20.000. Nos pertes s’élèvent à 9000 braves. La victoire est totale.
Nouvelle missive de Ney : « Je suis heureux d'apprendre que le prussien est repoussé à Altenbourg. J'hésite à me présenter à mon tour dans ce village car l'ennemi ne sait pas où je me trouve.Vous pourriez poursuivre Hohenlohe vers le nord, tandis que je marcherais sur Gera. A Scheitz, Davout a remporté la victoire mais l'a chèrement payé. Il me faut tomber sur les arrières des Prussiens qui se replient peut-être par cette route. »
Altenbourg, 20h : Soult se demande où est passé ce VIe corps dont on lui annonçait l’arrivée en début d’après-midi. Il écrit de nouveau à Ney : « Après une poursuite impitoyable, il ne reste guère que 20.000 hommes à Hohenlohe, tous parfaitement démoralisés. Environ 5000 hommes ont fait retraite en direction de Leipzig ; les autres ont pris la route de Gera. Vu la direction choisie par Hohenlohe pour faire retraite, il me semble naturel que vous marchiez demain au plus tôt en direction de Gera. Même si Brunswick a été battu lui aussi à Schleitz, il ne faut pas lui donner l'occasion de se réunir avec les débris du corps de Hohenlohe. Une action prompte et déterminée devrait vous permettre de prendre Gera et de couper ainsi les Prussiens en deux. » En confiant sa lettre à un aide de camp, Soult ne peut s’empêcher de se demander à haute voix si le mot « promptitude » fait partie du vocabulaire de Ney.